Homélie sur l’incendie de Notre-Dame de Paris
Homélie prononcée par Père Elie, le 21 avril 2019, dimanche des palmes, devant les sœurs et l’assemblée des fidèles du monastère de la Transfiguration.
Texte de l’homélie
Mes frères, nous fêtons aujourd’hui le dimanche des « Palmes », que l’on appelle en Occident « des Rameaux ». C’est pareil, bien évidemment. Cette fête nous fait entrer dans le merveilleux cycle de la « Grande Semaine » ou « Semaine sainte », que les fidèles catholiques ont vécu la semaine passée. Pour eux, aujourd’hui, c’est Pâques, la célébration solennelle de la Résurrection que nous atteindrons à notre tour dimanche prochain.
Les circonstances
Nous savons quelle tragédie les a frappés – et nous avec eux car ce drame est pleinement nôtre aussi – en début de semaine, ce lundi 15 avril 2019, avec le spectaculaire et horrible incendie de la cathédrale de Paris, Notre-Dame. Peu de personnes se sont montrées insensibles à ce drame qui touche le cœur de la France et celui de bien des Français, même de ceux qui ne se sentent pas concernés par le culte qui est rendu dans ce Temple depuis neuf siècles et plus, puisque l’actuelle cathédrale gothique avait été construite sur l’emplacement d’une autre église devenue trop petite et qui a été démolie pour se voir remplacée par le chef-d’œuvre que nous connaissons ! Notre prière monte vers Dieu à l’adresse de tout ce monde catholique en deuil, souvent éberlué, parfois anesthésié de douleur, mais rarement abattu. À notre prière s’ajoute notre amour sincère à l’égard de tous ceux qui aiment le Christ, et dont l’Église-mère en France est maintenant défigurée, envolée en fumée, même si des promesses généreuses – et pas toujours désintéressées – laissent espérer une reconstruction aussi rapide que possible.
Compassion sincère
Frères catholiques, avec vous nous souffrons, car Français, notre histoire est liée à la vôtre, notre histoire nous est commune et elle passe par Notre-Dame de France, elle s’y concrétise, s’y renouvelle, même si un schisme, plus vieux que la cathédrale brûlée, et plus tragique encore nous sépare, hélas ! En disant cela, je ne veux pas faire croire que nous sommes seulement troublés par la perte d’un immense patrimoine culturel et artistique. Bien sûr, oh combien nous y sommes sensibles aussi ! Oh combien nous constatons aussi avec joie, la référence qu’elle constitue pour des millions de visiteurs chaque année, qui, sans le savoir, côtoient la réalité de la Présence de Celle à laquelle est dédiée la cathédrale, Notre Sainte et Immaculée Souveraine la Mère de Dieu, et de Celui, Jésus-Christ, Dieu-Homme, dont tant de saintes Reliques sont des « révélations », des « épiphanies » régulièrement présentées au regard, à l’amour et à la vénération de ceux qui Le cherchent, même nichées dans le coq-girouette, Reliques qui bénissent au gré de l’orientation des vents la ville et tout le pays du haut de la fameuse flèche, et retrouvé quasi miraculeusement intact dans les décombres calcinés.
Les réactions et commentaires
Que n’entendons nous pas en ces jours d’après le cataclysme de feu, sur ce « patrimoine » artistique universel ! Nous ne le contestons pas, bien évidemment. La nuit même du sinistre, monsieur Mélanchon a fait sur ce sujet un très beau discours, argumenté, digne et émouvant. Il soulignait, à juste titre, comment l’architecture de cette cathédrale témoignait du savoir-faire technique audacieux des maîtres-d’œuvre de l’époque médiévale, du génie des hommes de l’art et de leur constance pour mener à bien une telle œuvre. La mise en application de techniques hardies pour remplacer l’épaisseur des murs par de la lumière, et élever les voûtes le plus haut possible vers la perfection. Il avait raison. D’autres y sont allés aussi de leurs discours émus et compatissants, tant cet accident a touché le cœur de tout homme de cœur ou de goût, bien au-delà des clivages de culture, de foi ou d’appartenance religieuse. À combien de personnes l’émotion n’a-t-elle pas tiré de larmes sincères, visibles ou intérieures, qu’il serait indécent de moquer ? La peine, le chagrin étaient visible sur de nombreux visages, de tous âges et de toutes origines. Nous sommes heureux de constater l’élan de solidarité mondial dans le but de restaurer, autant que faire se peut, ce « patrimoine de l’humanité ».
Vision chrétienne
Mais vous, Chrétiens, ces justes analyses vous suffisent-elles ? Un jour que des pharisiens et des sadducéens s’approchaient de Jésus, « Pour l’éprouver ils l’interrogèrent : qu’Il leur montre un signe du ciel ! Mais il leur répond et leur dit : ‘’ Le soir venu, vous dites : ‘ beau temps, car le ciel est rouge.’ Et le matin : ‘aujourd’hui, tempête : car le ciel rouge s’assombrit.’ La face du ciel, vous savez la discerner, mais les signes des temps, vous ne le pouvez pas ! Âge mauvais et adultère ! Il cherche un signe ! De signe, il ne lui sera pas donné, sinon le signe de Jonas ! (Évangile selon Matthieu 16,1-4).
L’incendie : « le signe de Jonas » ?
Eh bien voilà, l’incendie de lundi « met à l’épreuve » notre foi, et il n’y a pas à douter qu’il est « un signe ». Nous attendons donc des pasteurs les plus haut placés une interprétation de « ce signe ». De grâce, si nous croyons – et c’est la foi que nous a enseignée Jésus – que Dieu intervient dans le déroulement de la vie du monde et des personnes, élevons notre discernement pour appréhender ce signe, le comprendre, et in fine orienter notre vie en fonction du « signe de Jonas » qui nous est donné là, éclatant, en pleine lumière, sans rester rivés à une vision exclusivement humaniste ou affective de l’événement : une perte artistique et culturelle, une mémoire perdue, une coopération universelle pour un renouveau de l’édifice. Là n’est pas le plus profond.
Des interprétations haineuses
Il y a bien sûr des faux prophètes qui voient le signe de la fin des temps ; d’autres qui réalisent que la foi et la vie chrétiennes peuvent disparaître de notre pays ; d’autres encore y discernent un châtiment divin dû à nos iniquités personnelles ou nationales. « Rien de nouveau sous le soleil ! » Il y a longtemps que des forces anti-chrétiennes se liguent pour éradiquer la foi en Jésus, en notre Dieu-Homme, mort-ressuscité, siégeant en Gloire pour nous y prendre avec Lui. Il y en a qui s’en réjouissent et qui le disent !
Et alors ? Déjà, lors des grandes persécutions des quatre premiers siècles, les païens faisaient le jeu du pouvoir des Néron, des Dèce ou des Trajan pour effacer les traces des disciples de Ce Jésus, notre Dieu apparu parmi nous et toujours présent, quoique souvent invisible ! Ils applaudissaient hystériquement à leurs massacres dans les cirques et les amphithéâtres et jouissaient de leurs mise-à mort ! Et que faisaient les ardents chrétiens d’alors ? Se vengeaient-ils de leurs veules persécuteurs ? Réclamaient-ils justice ? Non, à l’école de leur Sauveur ils bénissaient ceux qui les persécutaient et priaient pour eux : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Évangile selon Luc 23,34) et les dernières paroles de saint Étienne lapidé et rendant son dernier souffle étaient : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » (Actes des Apôtres 7,60). C’est ainsi qu’à toutes les époques les chrétiens ont supporté quolibets et oppositions, critiques et persécutions et qu’ainsi ils ont appris ce qu’est le Royaume des Cieux, dont souvent nous avons une bien piètre image… Alors, même si l’on entend des paroles déplacées et pas très intelligentes, « Ce sont les p’tits blancs qui pleurent pour des bouts de bois » qu’est-ce que cela peut faire ? C’est un bien que ces personnes se déchargent de leur agressivité, voire de leur haine ; ces sentiments ne viennent pas d’elles, car elles ne savent pas ce qu’elles disent, mais ces sarcasmes sont inspirés par une Intelligence supérieure et maligne. Lorsque « Celui-ci » se manifeste, c’est qu« il est aux abois et qu’ « il » se déchaîne sentant que sa fin est proche.
Attaque satanique
Et justement, puisqu’on parle de « lui », des images qui nous étaient délivrées du sinistre restent en ma mémoire. Je pense tout particulièrement à cette photographie prise semble-t il par un drone, où l’on voit toute la charpente en feu, d’un rouge diabolique. Le journal satirique « Charlie Hebdo » ne s’y est pas trompé, lui : la signature de l’incendiaire apparaissait clairement. Et en même temps, il nous semblait, à la verticale, voir sur l’immense croix formée par la nef et les transepts le Corps rougi du Divin crucifié bouillonnant du sang qu’Il a versé pour nous !
En voyant les vidéos qui montraient la progression fulgurante – et curieuse, j’oserais dire étonnante même, des flammes, la colonne de feu embrasant la flèche qui se couchait sous nos yeux après une résistance héroïque quoique perdue d’avance, et heureusement, presque miraculeusement privée de ses quatre évangélistes et de ses douze Apôtres (dont Thomas-Viollet-le-Duc), en voyant tout cela donc, ces scènes et d’autres montraient en une sorte d’évidence, qu’une « intelligence supérieure » dirigeait, orientait, étendait, canalisait la sarabande infernale du feu, comme pour narguer avec ses crépitements ressemblants à des grincements de dents, les témoins du drame que d’aucuns ont voulu appeler péjorativement des « badauds » alors qu’ils étaient des « compatissants » sidérés. Mais surtout « Il » semblait braver la sainte Maîtresse des Lieux que les soi-disant « badauds » imploraient publiquement. Quel démenti pour tous ceux qui nous parlent d’abandon total de la foi chrétienne de la part du peuple français ! Tant de fois les saltimbanques médiévaux avaient mimé les « Mystères » divins sur le parvis de Notre-Dame, pour l’édification spirituelle des foules, tant de fois d’autres avaient présenté des simulacres blasphématoires de baptêmes ou d’autres saintes scènes théâtralisées… Mais là, devant nous, lundi soir, « Il » ne se déguisait même plus, croyant désespérément vaincre ainsi son Créateur et la Mère de Celui-ci, Notre Souveraine, Notre-Dame.
Apocalypse
La scène était apocalyptique. Nous savions cependant que dès le commencement de notre Sainte Histoire la Prophétie divine était connue de tous : « Je mettrai, disait Dieu au Tentateur, des inimitiés entre toi et la femme, entre ta postérité (les démons) et sa postérité (le Verbe Incarné et ceux qui Lui sont attachés) : elle guettera ta tète (pour l’écraser), et toi, tu lui guettera son talon (mort provisoire de « son fils » ressuscité) (Livre de la Genèse 3,15).
L’Apocalypse selon saint Jean – dont nous sommes riches de plusieurs enluminures ou tapisseries, se déroulait sous nos yeux incrédules le grand combat entre la Femme et le Dragon (Apocalypse 12, 15), combat dans lequel ce Dragon n’a connu qu’un triomphe éphémère. Et cela a encore été le cas lors de cette grandiose représentation du « Mystère de Notre-Dame » sur le parvis en ce 15 avril 2019 : grâce à la prière spontanée de beaucoup – qui pour certains avaient oublié depuis longtemps de prier (j’en ai eu des témoignages…) – grâce à l’humble et héroïque dévouement des quatre cents pompiers engagés, et de leur aumônier, souvent à leurs risques et périls, pour lutter contre le fléau, le trésor sacré, – dont la Couronne d’épines de la Crucifixion achetée par Saint Louis à l’empereur de Constantinople – et les murs et les tours de la façade principale, ont résisté aux assauts dantesques du Malin. Quel devait être l’émotion intime de nombreux de ces héroïques pompiers lorsqu’ils tentaient de sauver l’édifice et ce qu’il contient. Nous ne le saurons sans doute jamais, mais Dieu l’a vu et nous les remercions !
La lumière dans les ténèbres
Et pendant ce temps, humblement, cachée derrière l’autel principal offert par Louis XIV et sculpté par Nicolas Coustou et qui ne sert plus, consécutivement aux réformes liturgiques de Vatican II, derrière la Piéta à laquelle est consacré ce temple, la Croix victorieuse du divin Mort-ressuscité brillait encore, seule dans la pénombre, malgré les brandons rougeoyants qui tombaient de la voûte béante. Et deux de nos rois, Louis XIII et Louis XIV toujours agenouillés en vénération devant le Mystère de la mort-résurrection sculptée. Quelle victoire, quel signe !!! Son éclat redisait : « Dans le monde vous aurez de la souffrance. Mais confiance : moi je suis vainqueur du monde ! » (Évangile selon Jean 16,33) selon ce qu’affirmait Jésus pour que Ses disciples soient dans la paix à travers toutes les épreuves qu’ils rencontreraient ! Il est vrai que cette victoire se réalisera en plénitude dans « Le Royaume qui vient», mais nous en percevons dès aujourd’hui les prémices, si nous savons lire les signes des temps, ceux dont nous parlions en commençant.
Le Président Macron, très dignement, sobrement et semble-t-il sincèrement, a promis de restaurer l’église Notre-Dame dans les cinq ans. Je crains qu’il ne soit un peu optimiste, mais qu’importe ; nous comptons sur sa promesse et sur sa détermination et nous l’en remercions non moins sincèrement. Tant d’églises souffrent en France, profanées ou délabrées, abandonnées, fermées ou dépouillées, voire vendues ou détruites, transformées en auditorium, salles d’expositions ou scènes chorégraphiques et pas toujours pour des œuvres d’art sain et sacré… Ce drame alertera-t-il les chrétiens et leurs pasteurs, dont le nombre se raréfie tragiquement, pour qu’ils n’abandonnent pas leurs églises et que les municipalités, qui en ont pris la possession à l’époque de la Grande Révolution française de 1789 les entretiennent efficacement ?
Oui, c’est un patrimoine qui crie encore d’actualité. Il n’y avait qu’à regarder et écouter, je l’ai déjà souligné, mais cela m’a frappé, tous ceux qui spontanément se sont mis à chanter des chants de foi, spontanément, pendant toute la durée de la « consumation » de la cathédrale ! Chantaient-ils seulement la « consumation » de la basilique, ou ne craignaient-ils pas de voir aussi dans cette basilique incandescente la métaphore de notre monde ? Je ne sais. Mais je sais combien ces prières, ces suppliques s’ancraient dans celles de tant de générations antérieures, confrontées elles aussi, subitement, à l’évidence de la fragilité de ce qui leur semblait indestructible ! Non la foi n’est pas perdue, elle ne demande qu’à surgir et à se manifester, si du moins l’esprit du temps lui laissait un peu de liberté d’expression, comme on la laisse à des religions qui ne sont pas de nos racines.
Reconstruction ?
Le Président Macron a voulu que l’église, centre et âme de la France, soit restaurée en cinq ans ! Un peu avant lui, Jésus avait affirmé, au dire de ses détracteurs, : « Moi, je détruirai ce sanctuaire fait des mains et après trois jours j’en bâtirai un autre non fait par des mains. » (Évangile selon Marc 14, 58). Quand Il parlait du « sanctuaire fait par des mains », Il désignait le Temple de Jérusalem reconstruit par Hérode. Et lorsqu’Il parlait d’un « Sanctuaire non fait par des mains », Il parlait de Son corps, temple de la divinité qu’Il est par nature, qui devait mourir sur la croix et trois jours après ressusciter, comme cela s’est effectivement passé. Dans la destruction partielle de Notre-Dame se manifeste encore un « signe » pour nous chrétiens : Oui, les temples peuvent disparaître, on peut le regretter, mais tout ce qui est de la création est appelé un jour à disparaître ; seule la Vérité demeurera. Or La Vérité, c’est la réalité de l’union de Dieu et des hommes, en Christ, dans un mode nouveau de vie, hors matière et hors temps, dans ce qu’on appelle, faute de mieux et selon le vocabulaire de Jésus lui-même qui savait de quoi Il parlait : « le Royaume des Cieux ». Donc, ne craignons pas ceux qui peuvent détruire les sanctuaires construits par les hommes, car le véritable Sanctuaire est Jésus-ressuscité et éternellement Vivant, qui offre sa Vie éternellement à tous ceux qui l’acceptent, consciemment ou tacitement ! Que Notre-Dame de Paris soit détruite, ça nous fait mal ; que Jésus ait été crucifié, ça nous fait mal ; mais la vie éternelle nous est accordée dans le Sanctuaire céleste. Non, l’Eglise-Corps-du-Christ ne meurt jamais, elle est vivante pour la vie éternelle ! Édifiée sur la profession de foi de saint Pierre qui attestait, devant les statues du dieu païen Pan, à Césarée de Philippe, que Jésus « est le Christ, le Fils de Dieu Le vivant » Celui-ci promettait que « Les portes de l’enfer ne seront pas plus fortes que son Église ». (Évangile selon Matthieu 16,16 ; 18).
Manifestation du « signe de Jonas
Et voilà le signe de Jonas que le Christ nous promettait et que j’ai évoqué précédemment, signe qui saute aux yeux de la foi. Qu’est-il donc ce fameux et mystérieux signe de Jonas ?
Dans l’Ancien Testament, selon le récit parabolique que la Bible nous en fait, Dieu voulait que Jonas aille prêcher le repentir aux habitants de Ninive, en Mésopotamie, sur les bords du Tigre. Mais lui, Jonas, n’y tenait pas trop et voulut fuir sa mission. Prenant un bateau pour une autre destination afin d’échapper à la volonté de Dieu, les circonstances l’ont condamné à être jeté dans la mer. Le « monstre marin » (non pas une baleine, mais le symbole des forces du malin, des abysses ténébreux et mortels) l’a portant rejeté vivant sur la rive du fleuve (la mer). Cette nouvelle vie après trois jours dans le ventre du « monstre marin » représente, prophétise, la résurrection après les trois jours que Jésus a passés au tombeau. De là Jonas est allé effectivement à Ninive et il a prophétisé quarante jours pendant lesquels les Ninivites devaient se repentir de leurs fautes avant que leur ville ne soit détruite. Et, contrairement aux craintes du prophète incrédule, les habitants se sont effectivement convertis et ainsi le Seigneur leur a pardonné et n’a pas détruit la ville.
Le « signe de Jonas » est donc celui du repentir fondé sur la foi en la mort-Résurrection de Jésus. C’est ce signe qui nous a été présenté ce lundi soir : par la Croix de Jésus, par l’Amour pour nous avec lequel Il a accepté de laisser détruire le « sanctuaire de son Corps » pour le rebâtir, si nous nous convertissons, en vérité. Il nous pardonnera toutes nos fautes et nous communiquera la Vie éternelle, c’est-à-dire la participation, par la Grâce, à Sa divinité. Il est donc urgent de nous convertir : il ne reste que « quarante jours » c’est-à-dire une durée de jours symboliques, certes, mais le temps approche.
Le repentir
Mais, mon Dieu, de quoi donc nous repentir ? À quoi nous convertir ? Vous avez entendu plus haut, Jésus qui apostrophait les pharisiens et les saducéens « Âge mauvais et adultère ! ». Il faut avoir le courage de prendre cette parole pour authentique et actuelle. Ce n’est pas du pessimisme, mais écoute de la Parole de Dieu ! Certes, nous ne sommes pas tous tombés dans l’adultère, encore que notre « civilisation » contemporaine mondiale nous pousse davantage à la trahison conjugale pour motifs de désirs individuels à assouvir, qu’à la fidélité à la parole donnée, à la communion exigeante et généreuse avec l’autre. Mais bref, là n’est pas en cet instant le fond de la question. « L’adultère » dans le langage biblique, n’est pas seulement la faute d’infidélité dans le mariage, mais l’abandon de Dieu au profit d’idoles qui ne sont pas Dieu ! C’est donc cela que Jésus stigmatise face aux pharisiens et aux sadducéens de l’Évangile. Or là, il nous est difficile de nous disculper ! Car nous abandonnons allègrement l’Église, c’est-à-dire le mode de vie qui sied à des disciples de Jésus ! « Croire » n’est pas seulement avoir une croyance en l’existence de Dieu, ou en un « au-delà », ou en un « être suprême » auquel nous devrions rendre des devoirs auxquels nous essayons de nous dérober. Nous convertir, c’est vivre de la connaissance de Jésus, de l’amour du Père et par la force de l’Esprit-Saint. Tout ceci est rendu possible par la pratique des « saints Mystères » que l’Église met à notre disposition, moyens divins et humains à la fois, qui nous initient à « la Vie du Royaume des Cieux ». Le Baptême qui dépose en nous les germes de la vie éternelle ; la Chrismation (confirmation) qui nous communique le Dynamisme vital pour développer la lente restauration de notre sanctuaire intérieur brûlé, calciné, défiguré par le feu dévorant des passions et de l’incrédulité, voire du désintérêt des « choses de Dieu » ; la Communion qui opère en nous un échange divin : Jésus Dieu-incarné (Dieu fait Homme, tout en restant Dieu quel mystère insondable !!!) adopte notre vie déchue par le péché, de la condition à laquelle Il nous avait destinés à la création, et Il nous communique Sa vie à Lui, pour faire de nous des hommes-déifiés (participant à la vie divine, comme le dit saint Pierre dans sa seconde Épître ( 1,4). Et les grands docteurs saint Athanase d’Alexandrie et saint Irénée de Lyon écriront : « Dieu s’est fait Homme afin que l’homme soit déifié » ; C’est cela la « sainteté » ! Le Mariage, qui manifeste aux yeux du monde, en l’union des époux, celle du Christ et de son Église.
Utilisation illicite des églises
Parfois, des événements nationaux se situent dans les églises dont ce n’est pas la vocation première ! Des dirigeants sans-Dieu le savent bien, qui répugnent à entrer dans nos églises pour ne pas donner l’impression de rendre un culte à ce Dieu qu’ils ne veulent pas reconnaître, ou qu’ils combattent. Ils sont honnêtes avec eux-mêmes, mais ils ne devraient pas imposer aux autres leur non-croyance, qui, dans le cadre du christianisme, sauf des cas de dérives injustifiables et en tous cas étrangers à la doctrine et à la morale des disciples du Christ, ne condamne personne et ne fait tout de même pas grand mal. Au contraire, les chrétiens supportent même la persécution avec silence, foi et patience à toutes les époques de l’histoire, sans se rebeller. Deux mille ans de patience ! Le christianisme n’est-il pas la religion la plus persécutée aujourd’hui dans le monde ? Des rapports officiels indépendants sont éloquents, et étouffés…
Signification des églises faites par des mains
Mais pourquoi, si ce n’est pas pour des motifs de « mémoire », de culture, de racines nationales, sommes-nous si attachés à nos églises, et pleurons-nous devant des bouts de bois qui se consument en un grand feu de joie ?
C’est que pour nous, une église, n’est pas seulement un lieu de culte, un lieu de rassemblement d’une « communauté » qui veut offrir à Dieu ses chants ou ses offrandes, un lieu dans lequel on veut se sentir unis et solidaires au moins le moment d’une célébration. Une église, c’est bien davantage : c’est le lieu de la rencontre consciente de l’homme et de Dieu. Non seulement par la prière individuelle, les supplications ou les actions de grâces des fidèles, la communication des saints Mystères (les « sacrements »), mais aussi par son architecture même et son iconographie qui montrent en paraboles (en symboles) la réalité – invisible autrement – de la Vie Céleste. Là, Dieu y manifeste Sa gloire, pour la rendre visible aux hommes pourtant pêcheurs, à travers mille signes (les symboles) et les chants de structure théologiques.
Quel dommage que désormais, depuis plusieurs décennies, l’autel Majeur (le « Maitre-Autel ») ne serve plus et se trouve remplacé par une table centrale ! Lorsqu’il nous « tournait le dos », le pasteur du troupeau du Christ, évêque ou prêtre, montrait la Voie et cheminait à la tête des Brebis du Troupeau vers l’Orient, la Lumière, L’aurore de la résurrection : Le Christ. Il se tourne maintenant vers nous, dans une attitude plus cléricaliste que jamais, parfois assis directement devant le Tabernacle du « saint Sacrement » dont il prend la place ou auquel il s’associe orgueilleusement. Il y a là une inversion du sens liturgique, un changement théologique : le Peuple de Dieu n’est plus en marche vers le Christ Lumière, « l’Orient des Orients », il se contemple lui-même et célèbre son unité en oubliant – sauf en paroles – Celui qui les unit ! Ainsi le décrivait aussi monsieur Mélanchon dans son hommage à Notre-Dame auquel je faisais allusion au début, qui constatait le changement de langage architectural entre ce que nous appelons l’art roman – mais l’art sacré arménien, géorgien, byzantin, copte, slave ont la même inspiration transfigurante – et l’art dit « gothique ». Par celui-ci, l’homme offre à Dieu ce qu’il a de plus grandiose, en l’occurrence une prouesse architecturale (serons-nous encore capables de concevoir et de réaliser une œuvre semblable ?). Auparavant le temple chrétien manifestait la présence de Dieu, Sa descente vers les hommes. L’église était une chambre nuptiale qui abritait les épousailles de la divinité avec l’humanité. Qu’elle le reste ou qu’elle le redevienne !
Supplique aux restaurateurs
C’est pourquoi, Monsieur Macron et tous les responsables de la reconstruction de Notre-Dame, laissez-nous une église chrétienne ; que la hâte ne l’emporte pas sur le « sens » et le « signe », en nous livrant une architecture de salle polyvalente, d’écrin moderne pour des ruines figées et témoins d’un passé prestigieux, mais sans vie, ou quelque cage de verre, pyramidale ou autre. Car ce risque existe. Que ne peut-on inventer pour moquer, salir, défigurer ou pervertir, même par simple méconnaissance ? En « art sacré » chaque architecte-artiste n’est pas libre de jongler avec des symboles de son invention, fût-elle géniale. Il se doit d’exprimer par les formes et les couleurs la foi de l’Église et du peuple qui la constitue. Seuls des théologiens chrétiens et pratiquant cette foi, aidés bien sûr d’historiens de l’art, des gens d’expérience spirituelle et liturgique, peuvent comprendre, réaliser et reprendre l’œuvre commencée il y a neuf cents ans et aujourd’hui sinistrée. Laissez aux architectes musulmans la responsabilité de la conception de leurs mosquées, aux Juifs celle de leurs synagogues, aux bouddhistes de leurs temples, aux francs-maçons de leurs loges, mais donnez le même doit aux chrétiens. La République ne détient pas les critères requis pour édifier des sanctuaires où s’unissent le Ciel et la terre ; son rôle et sa fonction sont ailleurs. Des concours internationaux d’architectes non chrétiens non plus ! Nous vous en supplions, vous tous, responsables de la restauration de notre basilique, tenez bon dans les polémiques qui ne manqueront pas de se présenter à ce sujet et face aux exigences de ceux aux ordres de qui nous marchons. Il en va de la vie éternelle d’innombrables personnes et de la réputation que vous laisserez dans le Grand Livre de l’histoire. Vous êtes au carrefour de deux voies : transfigurer ou défigurer. Dieu vous jugera aussi là-dessus.
Conclusion
Donc, amis fidèles et orthodoxes, nous avons vu lundi « le signe de Jonas » qui nous invite à la conversion du cœur et des mœurs, au retour à la foi en Jésus-Christ Dieu-Homme, à l’attente du « Royaume qui n’est pas de ce monde » ainsi qu’à la conscience de l’intervention dans Dieu dans la vie des hommes et des peuples.
Par cette tragédie humaine qui a bouleversé le monde entier, Dieu et la Toute-Pure et Toute-Sainte Mère de Dieu, la « Théotokos », nous montrent qu’Ils ne nous abandonnent pas et nous donnent encore « quarante jours » symboliques, – je ne suis pas un prophète – pour nous convertir. En effet, ce n’est pas seulement une église en pierre qu’il faut d’abord reconstruire, elle tombera un jour, mais c’est le Sanctuaire du Corps auquel nous appartenons mystiquement et dont le Christ est la Tête, qu’il faut demander à Dieu de rétablir avec notre humble collaboration, synergie qui ne se nomme ni « piété » ni « morale », mais « foi » et conversion des mœurs à l’aune de la foi et des principes de mode de vie qui découlent de l’enseignement de Jésus, Paroles divines qui nous sont transmises par les Évangiles et que l’Esprit-Saint nous permet de comprendre et d’assimiler.
Épilogue
Et pour terminer, puisque nous avions décidé de commenter chaque dimanche de carême les épitres du jour, comment ne pas remarquer l’à-propos de celui d’aujourd’hui, que l’Eglise à placé à notre méditation pour nous encourager dans l’épreuve de la foi que constituent la Passion de notre Seigneur et son apparent silence à notre égard : « Réjouissez-vous, nous dit saint Paul comme aux Philippiens de son époque, réjouissez-vous toujours ! Je le dis encore une fois, réjouissez-vous !… Le Seigneur est proche. Ne vous inquiétez de rien ; mais dans une prière continuelle et une supplication, que vos demandes soient présentées à Dieu avec actions de grâces. Et la paix de Dieu, qui surpasse tout sentiment, gardera vos cœurs et vos intelligences dans le Christ Jésus » (Épître aux Philippiens 4,4-5 ;6-7).
Aussi, nous jubilons avec les fils d’Israël dans le cortège splendide par lequel ils acclament Jésus et nous disons : « viens Seigneur Jésus !» (derniers mots du livre de l’Apocalypse selon Jean, 22,20). C’est dans cet esprit que nous allons prendre les branches de palmier et nos rameaux, comme nos amis catholiques ont pris dimanche dernier leurs rameaux de buis ou de laurier, et que nous allons accompagner triomphalement Jésus qui monte vers Sa ville, Jérusalem, afin d’y subir sa Passion dans une obéissance absolue envers Le Père éternel et un amour infini pour nous, pour nous élever avec Lui dans la gloire de l’Ascension quarante jours plus tard.
En serons-nous dignes comme les Ninivites du temps de Jonas ?
En Christ est notre unique espérance, et à Lui reviennent la Gloire, l’honneur et l’adoration, ainsi qu’à notre Père éternel et à l’Esprit Tout-Saint bon et vivificateur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen !
Monastère de la Transfiguration
Archimandrite Élie
Dimanche des palmes
21 avril 2019