Du coronavirus en Grand Carême
Aujourd’hui, en ce mitan du mardi de la troisième semaine du Grand Carême entrent en application les mesures législatives communément nommées confinement. Point de surprises : depuis des semaines, les puissances médiatiques nous trimballaient de l’Empire du Milieu jusqu’à la cité des Doges, en une saga qui ne nous contait point quelque route de la soie, mais la circumnavigation invasive d’un nouveau barbare nommé coronavirus. Lequel s’invite sans y être convié, se présente avec l’entregent d’un simple malappris, proche parent de la grippe, alors qu’il n’hésite pas à envoyer d’aucuns ad patres, en prenant bien son temps, de surcroît, pour les asphyxier.
Et la peur nous taraude, pour nos proches, pour nos aînés, pour nous-mêmes, et les législateurs s’échinent à contrer l’intrus, réduisent de façon drastique les déplacements de tout un chacun, dans l’espoir raisonnable de bouter la camarde de nos terres familières. Et, pour le coup, ce sont mes occupations ordinaires, et mon agenda, et mes projets qui se retrouvent tout tourneboulés… « C’est un truc de fou, ce qui est en train de se passer ! », m’écrivait, il y a quelques heures, une personne chère. Oui, un « Truc de fou !» Tout ce que j’avais prévu est reporté, modifié, sous réserve d’ailleurs que ce maudit coronavirus ait la politesse de ne pas m’inscrire sur sa liste des trépassés ! Oui, c’est fou, tellement c’était inattendu !
Et cependant ma mémoire me rappelle cette forte supplique dite aux Grandes Vêpres, au moment de la Litie : « Nous te prions encore pour qu’à cette sainte église, à toute église, à toute ville et à toute contrée, soient épargnés la famine, la peste, le tremblement de terre, l’inondation, le glaive, l’invasion des ennemis, la guerre civile et la mort soudaine. » Ensemble de fléaux, parmi lesquels se trouve « la peste » l’épidémie, les morts qui s’accumulent, la population d’une paroisse ou d’une ville qui se retrouve décimée en quelques semaines, voire en quelques jours … Et si, en ce jour, nous ne faisions que renouer avec la condition millénaire de l’humanité ? Et si la folie se logeait aussi dans cette superbe de l’homo occidentalis qui, depuis la Renaissance en passant par la Révolution Française jusqu’au messianisme bolchevique, s’auto-idolâtre au travers des constructions qu’il s’est faites et qui se nomment Raison, Science, Technologie, Progrès … divinités tutélaires censées nous mettre à l’abri de fléaux ne pouvant plus faire peur qu’à des ignares engoncés dans leurs anachroniques arriérations… Oui, une fois de plus, cette coriace et insubmersible mythologie de la « modernité » révèle ce qu’elle est : un mensonge philosophique, une imposture spirituelle.
Mensonge philosophique. Mais, me direz-vous, l’idéologie du Progrès fut tout de même inventée par les « Philosophes » au « Siècle des Lumières » ? Oui, sauf que ce terme de « philosophes » est abusif et correspond plutôt à ce que nous nommerions « Intellectuels », terme qui n’existait pas alors. Si l’on cherche une tradition philosophique qui aide à vivre, qui soit un ars vitae, c’est du côté des Anciens qu’il convient de se tourner, des Stoïciens, par exemple, avec leurs enseignements sur le désir et sur la mort. Que nous disent-ils ? Que l’homme ne peut que désirer, mais que ce désir nous égare s’il a pour objet ce qui ne dépend pas de nous : or, l’ensemble des événements étrangers à ma volonté, voilà ce qui ne dépend pas de moi. L’épidémie, les guerres, tous ces genres de fléaux bien sûr, mais aussi la santé, l’estime qui m’est accordée, la durabilité de ma réussite, la reconnaissance sociale etc… voilà le vaste domaine qui, in fine, ne dépend pas de moi. Ces réflexions, ces méditations furent écrites la plupart du temps par des hommes ayant connu notoriété, puissance, honneurs … et goûté le fruit amer de leur fragilité, rien n’étant plus fluctuant que l’opinion qui les accorde ! La distinction entre « ce qui dépend de moi » et « ce qui ne dépend pas de moi » est une des clés de leur philosophie pratique, et il ne dépend que de nous de nous en servir aujourd’hui encore ; elle se révèlera excellent antidote contre l’emprise de cet imaginaire publicitaire sur nos âmes faisant accroire à chacun qu’il est un petit roi pour lequel tout est possible et qui a droit à tout. Des philosophies purement profanes suffisent donc à nous faire comprendre que ces manipulations de nos imaginaires ne relèvent pas de l’ordre de la technique, qu’il ne s’agit pas seulement de « techniques de vente » ou de « techniques de communication » mais d’une entreprise d’assujettissement spirituel. Ce même stoïcisme nous invite encore à toujours garder en nous la « mémoire de la mort » – autrement dit d’avoir toujours comme « pensée de derrière la tête », une vive conscience de notre fragilité – nullement par goût du morbide ou mépris de l’existence – d’autant que se souvenir de notre fragilité nous rend bien plus attentifs à ce qu’il y a de beauté aujourd’hui, en ce jour qu’il m’est donné de vivre – mais afin de nous prémunir contre toute tentation de démesure, contre toute inattention au présent : « Agir, parler, penser toujours, comme quelqu’un qui peut sur l’heure sortir de la vie » (Marc Aurèle, Pensées II, 11), « Que la mort soit devant tes yeux chaque jour et tu n’auras jamais aucune pensée basse ni aucun désir excessif. » (Epictète Manuel, §21)
Une saine réflexion suffit, par conséquent, à nous rendre attentifs à cette fragilité si profondément ancrée dans notre condition : nous sommes assujettis à l’action sur nous des causes extérieures – Pascal écrira, parlant de l’homme : « Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour l’écraser » Pensées Brunschvicg 347 – et la mort s’invite à tout âge et à tout moment. La patristique saura butiner ces enseignements des Anciens et bien des conseils issus de l’ascétique grecque et romaine viendront nourrir une ascèse chrétienne, ce qu’illustre à l’évidence l’exercice de la « Mémoire de la mort ». Songeons à saint Isaac le Syrien lorsqu’il écrit : « Quand tu t’approches de ta couche, dis-lui : Ô ma couche, peut-être cette nuit seras-tu mon tombeau. J’ignore si au lieu du sommeil temporel ne va pas venir pour moi le sommeil éternel. » (Discours ascétiques 34,12) ou à saint Joseph l’Hésychaste nous rappelant que « La mort nous attend cachée quelque part. Un jour, une nuit, ce sera la dernière de notre vie. C’est pourquoi bienheureux celui qui nuit et jour se souvient de la mort et se prépare à la rencontrer. Car elle a l’habitude de venir joyeusement à la rencontre de ceux qui l’attendent, mais pour ceux qui ne l’attendent pas, elle est sévère et amère. » (Joseph l’Hésychaste Lettres spirituelles, Lausanne, Suisse, L’âge d’Homme 2005, pp.173-174)
«Se souvenir de la mort et se préparer à la rencontrer » … eh bien, c’est exactement à cela que nous invite cette concomitance de « notre » coronavirus et du grand Carême, et c’est à cela aussi que nous invite le Christ, lorsqu’Il nous met en garde contre les mirages des richesses de ce monde : « Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument (…) mais amassez-vous des trésors dans le ciel. » (Mt 6, 19-20) Seulement, le sens de l’ascétique chrétienne n’est pas du tout le même que celui des Grecs : le but, pour nous, n’est pas de devenir comme une citadelle résistant aux aléas du temps. Notre ascèse est dynamique, elle est un chemin de conversion, une marche difficile parce que le vieil homme en nous se laisse pas aisément dépouiller ; mais, parce que nous avons été baptisés, et sous la motion de l’Esprit-Saint, des forces peuvent nous être données pour suppléer à l’insuffisance de notre volonté, et nous pouvons parvenir à « revêtir le Christ », (Ga 3, 27).
La foi chrétienne ne peut être vivante sans ascèse : le sens de notre vie, c’est de permettre au Christ de venir faire en nous Sa demeure, c’est de nous laisser déifier. Nous ne pouvons revêtir le Christ, nous ne pouvons entrer dans la Lumière de Sa résurrection sans monter au Golgotha, il n’y a pas de Pâques sans la Croix, mais le but de l’ascèse, ce n’est pas la Croix, mais la Résurrection. Le Christ n’a pas souffert par goût de la souffrance, Il a souffert Sa Passion pour m’affranchir de mes passions, comme nous le chantons aux Laudes du Troisième Dimanche de Carême, le dimanche de la Croix. Peut-être est-ce de la Liturgie de ce dimanche là qu’il nous faut nous nourrir ; peut-être sont-ce les hymnes de ce jour-là qui doivent nous habiter, plus fortement encore, en ce temps d’épidémie. Le dimanche de la Vénération de la Sainte Croix : dimanche magnifiquement résurrectionnel, bien que lové au cœur du grand Carême, bien qu’encore séparé de la Fête des fêtes par quatre longues semaines, mais déjà dimanche de jubilation, d’allégresse : les premières strophes de la première Ode de l’Orthros ne sont-elles pas celles du jour de Pâques ? « Jour de la résurrection ! Peuples, rayonnons de joie : c’est la Pâque, la Pâque du Seigneur ! De la mort à la vie, de la terre jusqu’au ciel, le Christ notre Dieu nous conduit : chantons la victoire du Seigneur. » Et la raison, les fondements de cet hymne jubilatoire en plein cœur du Carême, c’est la vénération de la Croix, Croix salutaire, Croix vivifiante : « Resplendis, vivifiante Croix du Seigneur (…) par toi furent séchées les larmes de nos yeux (…) par toi nous avons part à l’éternelle joie. (…) Voici que s’avance le nouvel arbre de vie ; accourez pour l’embrasser dans la joie et vers lui faites monter ce cri de votre foi : Précieuse Croix, tu es notre secours et notre protection, ton fruit nous procure l’immortalité, l’assurance du Paradis et la grâce du salut » (Lucernaire, t.5 des Grandes Vêpres du samedi de la vénération de la Croix). Oui, dans la foi orthodoxe, le fondement et le but de l’ascèse, si difficile soit-elle, sont résurrectionnels.
C’est à la lumière des textes liturgiques de ce dimanche là que nous pouvons entrer non point avec notre seul intellect, mais avec notre cœur, avec notre chair, dans le mystère de la Croix et de la Résurrection, dans cette antinomie mystique en laquelle fusionnent le scandale d’un Dieu méprisé, moqué, cloué et l’épiphanie de la Gloire de ce Dieu par la Croix : « C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant le Prince de ce monde va être jeté bas. » (Jn 12, 31) Oui, c’est cette indissociabilité de la Croix et du Tombeau vide, qui fonde notre Joie et notre Espérance. Xristo\j a0nes/ti, Christ est ressuscité ! « La mort a été engloutie dans la victoire. Où est-elle, ô mort, ta victoire ? » (1 Co 15,55). En Christ mort et ressuscité, la puissance de la Mort, la puissance du Monde ont déjà été vaincues (Jn 16,33), la bataille essentielle a déjà été gagnée, mais l’Ennemi se manifeste encore, il ne sera pleinement et visiblement défait qu’avec la Parousie, lorsque « la Mort et l’Hadès seront jetés dans l’océan de feu » (Ap 20,14) Et nous, nous vivons en tension dans ce déjà et ce pas encore. Voilà pourquoi nous ne nous désolons pas « Comme ceux qui n’ont pas d’espérance » (1 Th 4,13), voilà pourquoi l’Espérance manifeste notre foi, une foi en laquelle nous avons la certitude que le Seigneur est avec nous jusqu’à la fin des temps (Mt 28,20), Sa présence aimante rend infondées nos inquiétudes pour les lendemains (Mt 6,34), et rien de ce qui nous advient ne s’abime dans Son oubli, pas même la perte d’un de nos cheveux ! (Lc 12,6).
Mais la foi n’est ni une drogue, ni une illusion, ni un antalgique. Certes, notre condition présente est passagère, nous ne sommes que des pèlerins, nous croyons que l’existence ne nous a pas été donnée seulement pour ce temps de pérégrination, mais pour vivre éternellement avec notre Créateur. Mais tout d’abord, nous sommes attachés à ce monde, non sans quelque légitimité d’ailleurs puisque sa beauté exprime la magnificence de son Créateur (Ps 8 et 18). Les temps d’afflictions, de maladies nous rendent attentifs à tout ce cantique murmuré par la Création (« La création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement » Rm 8,22) ce cantique que nous, malheureux résidents d’un pavillon des agités, avions cessé d’entendre. Les retrouvailles de nos fragilités font sourdre du tréfonds de nos âmes un hymne d’action de grâces pour tant de beautés, tant d’heures de joies, tant de visages bienveillants rencontrés, tant de bontés parsemées en nos vies. Mais ce même monde est aussi terre d’« épines et de chardons » (Gn 3,18), de mauvaises herbes si invasives que d’aucuns réduisirent le temps présent à une « vallée de larmes. » (Ps 83,7) S’il n’est guère contestable que des formes de piété n’eurent que trop tendance, dans le passé, à verser dans la déploration tristounette, dans le pénitentiel et la souffrance, cela ne donne aucune légitimité à cet égarement symétrique et opposé, qui est un des travers de notre temps, égarement qui en vient à ne plus admettre ni comprendre que la souffrance fait partie de l’ascèse. Saint Joseph l’Hésychaste écrit qu’ « On ne fait pas des moines avec des lits de plumes ! » (Op.cit. p 30) : il parlait certes des moines en écrivant cela, mais cela vaut pour tout chrétien ! Aucun Père n’a jamais enseigné que nous puissions devenir enfants de Dieu sans épreuves et sans souffrances ! Citons, parmi bien d’autres, Saint Isaac le Syrien : « Il n’est pas possible quand nous marchons sur le chemin de la justice, que nous ne rencontrions pas de contrariétés, que notre corps ne soit pas éprouvé par la maladie et la fatigue, et que nous ne passions pas par diverses vicissitudes, si nous voulons vivre selon la vertu. (…) La voie de Dieu est une croix quotidienne. Personne ne peut monter confortablement au ciel ». (Discours ascétiques 4, 3-4) Serait-ce une attirance morbide pour je ne sais quoi de mortifère que d’oser redire cela ? Nullement ! Nous ne sommes pas invités à gambader après souffrances et épreuves ! Ces personnes-là ne sont pas très bien élevées, elles se mettent à table sans y avoir été invitées et elles ne se pressent pas pour repartir. L’actualité le rappelle aux étourdis ! Et leur présence dans nos vies a du sens.
Que ces maux nous affligent, qu’ils nous fassent peur est profondément humain. Le Christ, pleinement Dieu et pleinement homme, a pleuré ; Il a, en assumant notre humanité, fondu en larmes devant le tombeau de son ami Lazare qu’Il allait, en Sa pleine divinité, ressusciter. (Jn 11, 35). Le Christ, vrai Dieu et vrai homme a pleinement vécu la répulsion que nous ressentons devant la mort, jusqu’à connaitre une peur qui s’abime en angoisse : « Sa sueur devint comme de grosses gouttes de sang qui tombaient à terre. » (Lc 22, 44) Le Christ, né du Père avant tous les siècles, le Christ pantocrator, le Christ par qui tout a été fait, le Christ-Dieu qui a librement consenti à Sa Passion, ce Christ pleinement homme est descendu habiter notre peur, incarner notre angoisse et notre solitude devant la mort. Oh Seigneur ! Merci d’avoir insufflé à saint Luc ce verset en lequel il nous dit la plénitude de Ton incarnation ! Merci, d’avoir assumé notre condition jusque dans cette peur de cette mort qui est la suite de la faute ancestrale.
La foi n’est pas un discours édifiant ! Après que Socrate a absorbé la cigüe, nous le voyons, lui, deviser avec ses amis, les consoler, les rassurer, leur demander de payer à Asclépios l’achat d’un coq dont il reste redevable … (Phédon 116-118) Voilà un récit édifiant ! … Au Golgotha, nous n’avons pas à faire à un discours, nous ne sommes pas dans l’édifiant, nous sommes dans l’affrontement cosmique entre la Vie et La manifestation de la Puissance des Ténèbres. Le Vainqueur de la Mort a lui-même, dans son humanité, peur de cette pâque, il a peur du trépas. Alors, il n’est pas scandaleux que, moi aussi je puisse à la fois entendre en ma misérable faiblesse le « N’aie pas peur, petit troupeau » (Lc 12,32), « N’aie pas peur car Je suis avec toi » (Is 41,10) et connaître la peur. Parce que le Christ a volontairement assumé notre solitude, notre peur et même notre angoisse, nous savons dans notre foi que, quoi qu’il advienne, nous ne mourrons pas seul, même si aucun visage aimé n’est à nos côtés à ce moment-là, même si notre Geronda ne peut venir nous assister, nous ne serons pas seul : le Christ sera avec nous et en nous et des anges nous réconforteront. (Lc 22,43) Mais … nous connaissons la peur, et ces images suscitent en nous de l’effroi !
Cette peur, nous la ressentons de façon d’autant plus vive qu’elle s’enchâsse dans une appréhension plus large encore : celle de n’être peut-être pas très éloignés de la Parousie. Certes, plusieurs générations de chrétiens ont déjà eu, à tort, la certitude de vivre la fin des temps, et il se peut que nous soyons dans la même illusion. Certes, les épidémies, les désordres, les guerres, les invasions n’ont rien de propre à notre temps qui n’est décidément pas ce monde lumineux et joyeux vaticiné par nos Saint Just et autres Condorcet ! En matière d’épidémie, notre Coronavirus n’est peut-être qu’un ennemi somme toute médiocre comparativement à tel de ses prédécesseurs, responsable par exemple des « grippes espagnoles » ; mais cette appréhension, peut-être illusoire, d’une fin de ce temps qui pourrait être proche s’ancre, de façon plus profonde, dans l’impression d’avoir à faire à un combat spirituel, à un antagonisme cosmique, frontal entre une Humanité clamant son Autonomie, sa Rationalité, sa soi-disant toute puissance et son Créateur … réputé inexistant. Lorsque nous lisons le magnifique livre de l’Apocalypse, nous sommes particulièrement frappés par ce qui est dit, de façon volontairement répétitive, de l’attitude des hommes, de leur entêtement, de leur obstination, à mesure que les fléaux s’échappent « des coupes en or remplies de la colère de Dieu ». (Ap 15, 7) Que font ces hommes lorsque s’égrènent ces signes d’un Jugement ? : « Loin de se repentir en rendant gloire à Dieu, ils blasphémèrent le nom de Dieu qui détenait en son pouvoir de tels fléaux. » (Ap 16,9) et plus loin : « Loin de se repentir de leurs agissements, les hommes blasphémèrent le Dieu du ciel sous le coup des douleurs et des plaies. » (Ap 16,11 et plus loin Ap 16,21). Cet entêtement, cet acharnement dans la hargne de Dieu n’est-il pas au cœur de l’esprit de ce temps ?
Après le coronavirus, il n’y aura pas de retour au statu quo ante, à ce qui prévalait auparavant, nous a-t-il été dit, non sans quelque emphase d’ailleurs. Mais qu’est-ce qui est alors évoqué ? S’il s’agit d’orientations monétaires ou de politiques économiques, c’est fort possible. S’il s’agit de changements profonds dans nos manières de vivre, il est permis de se montrer dubitatif. Une conversion semble improbable. Bien sûr, ce râleur de Jonas espérait bien que Ninive ne se convertirait pas, et il n’assura, de mauvaise grâce, qu’un service minimum pour appeler les Ninivites à vivre autrement … et ces habitants se convertirent ! Rien n’est impossible à Dieu ! Mais comme elles sont solidement campées sur leurs pattes ces deux bêtes de l’Apocalypse auxquelles le Dragon a transmis son pouvoir, celle de la mer et, plus encore, celle de la terre. (Ap 13) La bête de la mer symbolise le Pouvoir institutionnel en tant qu’il recherche l’universalité entière, géographique, ce que nous pourrions nommer l’impérialisme, et spirituelle c’est-à-dire sans distinction claire entre le temporel et le spirituel, de sorte qu’il « mène campagne contre les Saints afin, de les vaincre. (Ap 13,7) Celle de la terre est au service de ce premier Pouvoir, et ce redoutable monstre de la terre fait que les hommes entrent en illusion et vouent un culte au Pouvoir qu’ils idolâtrent, consentant ainsi, en quelque sorte à leur propre asservissement. Nul doute qu’une telle bête de la terre a ses entrées dans les services de propagande, de communication, qu’elle a tous ses diplômes en idéologie et autres éléments de langage. Peu nous chaut de savoir que saint Jean était censé traiter du pouvoir romain en mettant en scène ces figures. Eu égard à la profondeur de vue de cet Evangéliste, nous pouvons supposer sans grand risque qu’il avait su discerner dans Rome un enjeu intemporel, spirituel : la confrontation de la Superbe humaine avec la kénose de Dieu. Cette maîtresse es-imaginaire qu’est la bête de la terre a, entre temps, su s’instruire et s’adapter. Elle parle couramment le mondialisme multiculturel, excelle à organiser les grandes Liturgies du Marché qu’elle agrémente par des mises en scènes sous-traitées à des minorités libertaires. Elle a, en particulier, acquis avec brio une maîtrise de l’Ecran total, de sorte que la foule de ses fidèles prend les images et les spectacles qu’elle a mis en scène pour la réalité même, tandis que l’existence de la réalité réelle, si je puis dire, se retrouve niée et doit être tue sous peine d’ostracisme.
L’après-coronavirus sera-t-il dégrisé des alcools de la croissance, du salut par la technologie, du mondialisme et autres post-modernités ? Cessera-t-il de vénérer la démesure, d’anéantir plantes, sols et animaux ? S’il n’en est rien, si la bête de la terre continue à mener la danse, alors oui, elle pourrait bien déchainer avec frénésie toute la panoplie de ses maléfices, sachant que sa puissance va bientôt être définitivement vaincue et anéantie. Il nous faudrait alors, quelles que soient nos peurs, nous ancrer, nous enter résolument en Christ. Quel que soit le temps de la Parousie, quels que soient les effondrements de toutes les impostures humaines qui la précéderont, ce à quoi nous sommes invités, c’est à l’achèvement, à la plénitude de ces Liturgies que nous avons déjà célébrées ensemble, en ce monde et en Jésus-Christ, ainsi qu’avec toutes les Puissances Angéliques et tous les saints. Ce à quoi nous sommes invités, c’est à rejoindre cette foule immense dont saint Jean eut la vision, cette foule qui, avec les vingt-quatre Vieillards et les quatre Vivants, ne cesse de chanter et de clamer : Alleluia ! ». Oui, ce à quoi nous sommes invités, c’est d’habiter la demeure commune de Dieu et des hommes lorsque le Christ lui-même viendra essuyer toutes larmes de nos yeux. (Ap 20)
Ce vendredi 20 mars A.D. 2020
Vendredi de la troisième semaine de Carême
Jean-Marie Gobert
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