Dédicaces en terres serbes
Novembre 2023Ah, ces terres de la Serbie historique et orthodoxe : impossible d’en revenir sans se retrouver ému et fortifié par toutes ces haltes et ces rencontres dans tant de monastères, églises et ermitages, semés en ces terres de foi et de martyrs. Depuis plus d’un demi-siècle qu’il les parcourt, par temps de guerre comme par temps de paix, Père Elie a su nous transmettre son attachement et son admiration pour ce « Peuple Théodule ». Son livre « Mes pupilles conserveront l’éclat de ta beauté », rédigé à l’occasion d’un pèlerinage de l’été 2019, mais dont le contenu s’élargit en une rétrospective des voyages précédemment accomplis, et en un hommage au courage de ces frères et sœurs orthodoxes, a ému nos coreligionnaires des Balkans, après que l’ami Jovica Stankovič l’a traduit en Serbe. C’est afin d’en faire la présentation que notre higoumène et sœur Silouanie furent invités là-bas, accompagnés de votre serviteur.
Nous voilà donc partis de Terrasson au soir du 20 novembre, pour une nuit fort écourtée à Bordeaux-Mérignac, suivie d’un vol pour Belgrade. Le lendemain, à peine arrivés, nous sommes embarqués par Darinka et sa filleule Danitsa pour une première rencontre, avec Père Stefan, en son monastère de Velika Reneta.
Puis, après une nuit réparatrice, nous nous rendrons à un office matinal dont aucun de nous trois n’avait anticipé ni la longueur, ni – surtout – le froid qui l’accompagna … ! Malgré leurs robustesses bien connues, nos organismes se rebellèrent, y allant de leurs petits caprices et protestations, et il nous fallut les apaiser avec force pharmacopées pour ne pas nous retrouver contraints de faire pâle figure lors de ces rencontres, enregistrements et autres dédicaces, toutes imminentes !
Nonobstant ces perfidies de la chair, notre vaillant écrivain parvint à enchainer, le mercredi 22, une présidence de la Divine Liturgie en l’église de l’Ascension, suivie d’un enregistrement radiophonique puis, après un peu de repos tout de même chez Darinka et Père Nénad, de sa première conférence-dédicace, en soirée, dans l’église même de l’Ascension ! Nous y retrouverons, en une émotion partagée, celui qui est devenu, entre-temps, Monseigneur Hilarion.
Les dédicaces se poursuivront encore le lendemain, après la slivovitsa statutaire et une copieuse restauration, le jeudi 23, dans les locaux paroissiaux.
Mais, il nous fut impossible de nous attarder auprès de tant de visages amis : il fallait reprendre la route en direction de Kraljevo, où nous attendait Père Dejan. Autre repas, dans un restaurant panoramique, avant que ne s’enchaînent visite d’une maison d’édition, puis d’un centre de documentation et, dans la foulée, la seconde soirée conférence-dédicace. Nous nous trouvions sur les terres de notre traducteur et professeur de français Jovica, qui avait su convaincre nombre de ses élèves de venir à cette présentation : beaucoup de lycéens avaient pris place parmi les auditeurs. Après quoi, quelque peu épuisés – et j’admirais, une fois de plus, la résistance de notre higoumène ! – il ne restait plus qu’à aller dormir au monastère tout proche de Ziča.
Le vendredi, après l’Orthros, la Liturgie et une belle rencontre avec Mati Yéléna, il nous fallut faire fissa, direction Trebinje, tout au sud de la Bosnie-Herzégovine, où nous attendaient, en soirée, les moniales de Petro-Pavlov. Nous faisons une halte à Vičegrad, juste le temps de voir et de traverser ce Pont sur la Drina, autour duquel Ivo Andrič, prix Nobel de littérature, a su développer une si profonde méditation sur le temps, le stable et le mouvant. Autre arrêt encore, pour nous dégourdir les jambes et grignoter, dans une de ces cantines de bord de
route : nous ne règlerons aucune consommation, la patronne nous disant que, chez elle, moines et moniales n’ont rien à payer … Il tombe des cordes et fait nuit noire lorsque nous arrivons à Petro-Pavlov où nous sommes reçus en frères et amis. Après un repas, Père Elie et moi-même repartirons, sous des trombes d’eau, pour Tverdoš, où chacun se retrouvera logé … dans une chambre épiscopale !
C’est en ce monastère que nous rejoindront, le lendemain, sœur Silouanie et Darinka. En ce samedi, jour de la semaine où la prière en Eglise est davantage attentive à ceux qui se sont endormis, nous nous inclinons avec émotion, lors d’une pannychide, devant la sépulture de Vladika Athanase.
Nonobstant notre foi profonde en l’éternité et en la communion des saints, nous nous sentons néanmoins orphelins de ces Athanase, et de ces Amphilokije … A Tverdoš encore, nous prenons place dans le konak : l’absence physique de Vladika Athanase se fait prégnante, malgré une sorte de portrait en bas-relief accroché au mur. Visite des caves du monastère, puis escapade à Mrkoniś, sur les lieux de la maison natale de saint Basile, entourés maintenant par de belles constructions érigées pour mieux accueillir les pèlerins. Enfin, retour à PetroPavlov pour le repas et, plus encore, des entretiens avec la communauté.
Répondant à une sollicitation, Père Elie évoque quelques-uns des temps forts vécus avec Vladika Athanase, dont cette saga, que beaucoup d’entre nous connaissent, de la voiture rouge et de la voiture blanche … Mais nous devons quitter cette communauté amie et si chaleureuse pour nous rendre à Podgorica, dans cette grande cathédrale de la Résurrection reconstruite par Vladika Amphilokije, où nous sommes attendus pour l’office de Vêpres. Là, un nouveau marathon pour tout un chacun, pour Père Elie surtout, auquel nul assoupissement n’est décidément possible ! A peine entré dans ladite cathédrale, il se retrouvera d’ailleurs happé par ses pairs, pour les Vêpres, puis une pannychide devant l’imposant tombeau de Vladika Amphilokije, que son Eglise, qui le lui devait bien, a fait ériger.
Un quart d’heure de battement tout de même, le temps que soient mis en place, dans la crypte, chaises, tables et micros pour une troisième séance de dédicace. Et là, une surprise, une émotion, une bénédiction : Mati Haritina – dont l’émotion me bouleverse – et sœur Maria, du monastère de Banja, ont fait tout le trajet, de nuit et par une route sinueuse, pour être présentes et témoigner de leur amitié ou, mieux, de leur communion.
Beaucoup de personnes sont venues écouter cette conférence, et il faudra faire montre de patience à ces amis pour repartir avec un – ou plusieurs – exemplaire dédicacé.
Après quoi, nous serons cordialement invités à nous retrouver autour d’une table surabondamment garnie, auprès d’hôtes attentionnés. Il ne restera plus qu’à se laisser conduire, à une heure fort avancée, jusqu’à Ostrog, où un jeune moine accompagnera chacun jusqu’à son couchage, autrement dit, son appartement !
De ce confort indu nous ne profiterons pas ! La Liturgie dominicale de ce grand lieu de pèlerinage commence à 6 heures, et chacun de nous tient à pouvoir vénérer saint Basile auparavant… Levés avant l’aube, vent, neige et froid nous accompagnent, et après avoir arpenté un grand nombre de marches et vénéré saint Basile, nous nous retrouvons, quelques peu serrés mais au chaud, dans la minuscule chapelle troglodyte de saint Stanko, toute couverte de fresques.
Dehors, à quelques mètres, sur une esplanade entaillée dans la roche, une centaine de fidèles suivront Orthros et Liturgie par ce temps glacial …
Après l’Office, café et collation, offerts à tous, seront bienvenus, même pour nous qui n’avions pas été exposés à ces froidures. Père Sergueï, responsable de ces lieux, nous recevra à sa table.
Puis, il nous faudra songer au retour dans nos terres de France, et rejoindre Belgrade, en faisant étape, comme Darinka l’avait voulu, au monastère de Milečeva. La route est verglacée, enneigée, elle longe longuement une rivière en contrebas, qui nous nargue, toute disposée à nous recevoir : occasion insolite, mais ô combien véridique et incarnée, de se sentir portés par une synergie, une coopération entre une maîtrise automobile toute humaine et l’attention des saints anges ! Arrivés sur place, c’est à pas de loup, avançant cahin-caha, afin de n’avoir pas à improviser d’improbables figures de patinage, que nous parviendrons jusqu’à l’hôtellerie monastique généreusement chauffée.
Après la nuit, le départ s’effectuera dans les mêmes conditions neigeuses et verglacées. A mi-chemin entre Milečeva et Belgrade, Darinka nous fit faire, motu proprio, un arrêt au monastère Preobrazenje, c’est-à-dire le monastère de la Transfiguration. Transis par un froid d’autant plus sensible que nous sommes fatigués, nous avançons sans excès de zèle, jusqu’à la chapelle et puis, tout s’enchaîne : dans l’église, une abondance d’icônes et de reliques de nombreux saints ; dans le konak, une rencontre avec des jeunes gens, cuisiniers de leur état, nous faisant part de leur volonté de travailler dans leur pays, afin de n’avoir point à s’éloigner des terres de leurs martyrs ; enfin, la présence bénie d’un Ancien, Père Benjamin, 87 ans. Un beau vieillard, entre Ciel et Terre : une mémoire asthénique, certes, pour tout ce qui attrait à ce monde, mais un esprit, une âme greffés sur l’« unique nécessaire ». Ses propos se répétaient, mais ce furent des redites d’apophtegmes, de courtes maximes, et toutes constituaient un authentique aide-mémoire pour aider à vivre en Christ. Merci, Geronda Benjamin ! Avec votre rencontre, c’est une bénédiction riche de sens qui a comme couronné la fin de notre périple : vous témoigniez, en quelque sorte, qu’au sein du flux des aléas historiques et des contingences de nos existences fragiles, flux symbolisé par les eaux de la Drina, n’existe aucun pont issu du vouloir et de l’orgueil humain qui puisse nous permettre de « passer sur l’autre rive ». L’Unique Pont n’est autre que le Christ, vrai Dieu et vrai homme, notre unique chemin vers la Vie véritable, après avoir franchi les Drina de nos existences en ce monde.
Jean GOBERT